RACISME ORDINAIRE : COMMENT EVITER LES FANTASMES EXOTIQUES
Conseils à l'attention des journalistes et de tous les communicants !
Après des décennies, -que dis-je, des siècles!- de monochromie, l'apparition récente sur la scène politique française de nombreux visages féminins de "type" asiatiques, maghrébins ou noirs, a déstabilisé, semble-t-il, les commentateurs médiatiques plus accoutumés aux alignements de costumes gris d'où émergent, invariablement ou presque, des crânes bien roses et plus ou moins dégarnis.
Surpris par cet exotisme si soudain, les médias n'ont pas toujours su trouver les mots pour dépeindre les femmes non-blanches. Afin de prévenir de nouvelles maladresses grossières, voici un aperçu des erreurs à ne plus commettre, illustrées par des exemples simples: le ridicule ne tue pas, certes; mais il peut lasser, même les plus endurci·e·s. Bref, ça suffit.
Ne focalisez pas sur la plastique : vous risquez le fantasme
Quand en 2007 Rama Yade fait son entrée dans le gouvernement Fillon II c'est un déferlement dans les gazettes. La ministre de la République devient tout à coup "la belle Rama", une femme "physique, instinctive", au "physique de basketteuse", au "sourire enjôleur" dont la "beauté éclatante" lui vaut d'être présentée le plus sérieusement du monde par Le Figaro comme la "Naomi Campbell du gouvernement"! La couleur de peau de la désormais "perle noire de Sarko" ne passe pas inaperçue, on s'extasie du fait qu'elle soit noire, très noire, belle, très belle "sénégauloise" de 1,77 mètre .
Les auteurs de ces lignes, incapables de trouver la ministre derrière cette seule apparence, n'ont probablement guère l'habitude de côtoyer de jeunes femmes noires. Conseil d'amie, qui sait de quoi elle parle: les femmes non-blanches ne sont pas toutes danseuses, sportives ou mannequins, certaines d'entre elles exercent des fonctions de pouvoir et si l'on se fie à la démographie de la France il est fort probable que leur nombre augmente dans les années à venir. Prudence donc.
Eviter la comparaison : vous risquez le cliché
Sitôt nommée au gouvernement, Najat Vallaud Belkacem se voit affublée du totem de "gazelle" dans la biographie pourtant laudative qui lui est consacrée. Saisi d'enthousiasme figuratif, Patrick Besson polit un syntagme adjectival inattendu pour chacune des femmes ministres, témoignant d'une imagination ébouriffante pour décrire celles dont les origines lui semblaient trop peu gauloises. Ainsi de s'extasier du "tanagra guyanais Christiane Taubira", de "la geisha intellectuelle Fleur Pellerin" ou encore de la "Shéhérazade cinématographique Yamina Benguigui".
D'après nos informations, les femmes non-blanches sont des êtres humains; il est inutile de les comparer à des bovidés, des statuettes ou à d'anciennes fictions, fut-ce chaque fois de quelque prestige, les référents existent aussi parmi les personnalités réelles du XXIe siècle.
Ne parlez pas d'exotisme: vous risquez la pacotille
Un portrait de Najat Vallaud Belkacem dans La Vie nous apprend que la ministre, en digne femme arabe, a conservé "de ses origines marocaines (...) les yeux cernés de khôl" tandis que Libération, Le Point et Le Monde expliquent à leurs lecteurs - sans doute friands de détails croustillants - que Rama Yade arbore une "allure de princesse d'Afrique", marche "pieds nus" lorsqu'elle se rend chez sa mère et "reçoit ses amis en boubou". Une Noire de toute première authenticité, à n'en pas douter.
Le journal Métro délivre une information de la plus haute importance lorsqu'il présente Seybah Dagoma, élue député socialiste en 2012: la jeune femme cuisine à merveille les spécialités africaines, comme le poulet Yassa! Si La Vie ne semble pas savoir qu'aujourd'hui on peut trouver du khôl dans n'importe quelle supérette, rappelons aux rédacteurs précités que ces femmes d'origine étrangère sont des françaises comme les autres. Leur vie domestique n'a rien d'un étrange rituel, importé d'un ailleurs obscur.
Ne les confondez pas, contrairement à ce que vous pensez, elles ne se ressemblent pas toutes
Naguère, Rama Yade était présentée comme "encore plus jeune, encore plus colorée, encore plus séduisante" que Rachida Dati. Indice capital pour comprendre les rapports de force en présence à l'UMP. Seybah Dagoma, désignée tête de liste PS aux municipales à Paris, est aussitôt la "Rama Yade de Bertrand Delanoé". Chacun sa Noire, une nouvelle mode?
Dans le portrait que lui avait consacré Libération, le nom de Rama Yade était cité pas moins de cinq fois. Et les comparaisons y relevaient de la plus fine analyse politique: "Aussi grande (1,80 m), [que Rama Yade] elle n'a pas le visage de poupée de la secrétaire d'État aux Droits de l'homme. Mais une beauté au couteau. Plus Picasso que Picabia".. Après tout, pourquoi s'attarder sur leurs convictions politiques divergentes, si l'on peut se contenter d'un concours de beauté? Aminata Konaté candidate UMP aux législatives de 2008 était, elle, présentée par Le Parisien comme la "petite sœur" de Rama Yade.. Ces Noirs, quelle grande famille!
Désormais, Najat Vallaud Belkacem est devenue en quelque sorte la Rachida Dati de François Hollande. Le Progrès les met ainsi côte à côte: "De son aînée UMP, elle ne renierait ni l'élégance ni la grâce (les deux femmes n'ont rien à s'envier sur ces plans-là), pas plus que sur leur formation intellectuelle et leur esprit pour le moins alerte". Si elles investissent le champ de l'élégance avec le même talent, que demande le peuple?
Quant aux talents oratoires de la charismatique Christiane Taubira, ils deviennent dans les pages de Libération un "swag d'enfer" qui vaut à la numéro trois du gouvernement le très enviable titre de "Beyoncé française". Beyoncé-shake-ton-booty-Knowles, Christiane-déclame-la-poésie-de-la-négritude-Taubira: même combat!
Pour paraphraser le regrettable Thierry Roland, on pourrait déduire de tout cela que rien ne ressemble plus à une Arabe qu'une autre Arabe (théorème valable pour les Noires et les Asiatiques). Hélas, il me faut vous détromper: ce n'est qu'une illusion créée par des préjugés. Toutes ces femmes n'appartiennent pas à la même famille: elles sont indépendantes les unes des autres.
Essayez si possible d'oublier que vous avez affaire à des femmes non-blanches, cela vous aidera à fixer votre attention, et celle du lecteur, sur l'essentiel : l'in-for-ma-tion.
Rokhaya Diallo