COMMENT MANAGER À L'ÈRE DE L'INCOHÉRENCE REVENDIQUÉE - Frédéric Fougerat
Tribune Management de Frédéric Fougerat pour Focus RH
Quand l’absurde devient un argument
Notre époque doit faire face à des paradoxes assumés, portés par des personnes, par ailleurs, de plus en plus radicales, parfois même violentes dans leurs relations sociales. Citons des défenseurs de la liberté d’expression, uniquement pour celles et ceux qui pensent de la même façon ; collaborateurs critiques du « système »… mais heureux d’en percevoir les avantages qu’il finance, notamment sociaux ; personnes qui refusent des fonctions de management, sans courage pour faire évoluer ledit système qu’il est plus facile de condamner que de transformer ; opposants à la rentabilité des entreprises, mais en attente de leurs salaires à la fin de chaque mois ; militants de la diversité, sauf de la diversité d’idées, méprisée, voire insultée, interdite… Je pense aussi à tous les promoteurs de l’ordre moral qui s’applique à tous sauf à eux-mêmes, aux chantres de la rigueur budgétaire qui dilapident sans compter l’argent de l’entreprise ou de la collectivité, à celles et ceux qui exigent du respect mais ne respectent rien ni personne, qui réclament attention et considération sans être capables de faire preuve d’empathie et d’écoute active…
Le triomphe de l’incohérence
Nous vivons une période où l’incohérence est devenue une valeur refuge, presqu’une nouvelle norme qui s’impose. Revendiquer une contradiction n’est plus un embarras, mais une fierté. Il ne s’agit plus de réfléchir, mais d’affirmer, en tirant la force de ses convictions dans son incapacité à interroger ses certitudes. Nul besoin d’argumenter : « puisque je le pense, c’est vrai ».
Cette incohérence triomphante ne traduit pas une ouverture d’esprit, mais une défaillance intellectuelle, ou une manipulation. La radicalité est devenue le chemin le plus court entre une opinion et une condamnation, sans nuance, sans effort de compréhension, sans procès équitable.
La radicalité, qui avait trouvé dans l’Histoire une légitimité pour combattre de terribles injustices sociales et sociétales, devient une arme au service de l’individualisme et d’un néo-communautarisme égoïste, déguisé en cause collective... ce qu’elle n’est pas. La fameuse liberté d’expression, à sens unique, sert de raccourci pour s’épargner tout échange ou contradiction. Comme une doctrine qui ne peut pas et ne doit pas être contestée. Un dogme, en somme.
Le manager face à l’incohérence
L’entreprise, dans un contexte global et en crise, ne peut pas se risquer à s’aventurer dans l’absurdité. Elle doit être cohérente pour fonctionner : une organisation, des règles, des responsables. Sans cohérence, tout s’écroule.
Alors que faire, si un collaborateur revendique son droit à l’incohérence ?
Le manager se retrouve dans une position paradoxale : il doit incarner la cohérence dans un environnement qui la dévalorise, voire qui érige l’incohérence en posture politique, sociale ou identitaire. Être le gardien du sens, alors que beaucoup, par leur posture, n’en veulent plus.
Toujours conserver une posture professionnelle
Pour ne pas sombrer, le manager doit se fixer des lignes de conduite :
- Rappeler que la cohérence au travail est une condition pas une option. Dans une équipe, on peut admettre ou tolérer les contradictions intimes, pas leur traduction en inertie.
- Rappeler que le travail a une valeur et que la valeur est créée par le travail. Un discours dominant, et pas nécessairement majoritaire, veut faire croire qu’on peut obtenir des droits sans devoirs, justice sans responsabilité, bénéfices sans efforts. Le manager doit remettre les pendules à l’heure : le travail a une valeur, et la valeur est créée par le travail.
- Rappeler le fonctionnement d’une communauté. Accepter de débattre, confronter les contradictions, poser des limites au « tout se vaut ». Le rôle du manager n’est pas ici de censurer, mais de faire vivre les règles communes, de recadrer si nécessaire, et de rappeler que la liberté d’expression ne dispense pas de cohérence dans l’action.
Autorité hiérarchique vs autorité professionnelle
Faut-il baisser les bras ? Non. Il faut accepter que le management ne repose plus uniquement sur l’autorité hiérarchique, ni sur la seule transmission des savoirs. Mais cela ne doit pas, pour autant, remettre en cause l’autorité professionnelle, d’une part, et la responsabilité, d’autre part. Si chacun peut et même devrait être invité à s’exprimer, partager ses compétences, chacun et chacune doit ensuite soutenir et défendre les décisions prises, par celui ou celle dont c’est la responsabilité.
Dans cette ère de l’incohérence revendiquée, le rôle du manager est plus que jamais clé. Il ne doit donc pas être négligé. Il devrait même être renforcé ! C’est lui, par son discours et son animation d’équipe, au quotidien, qui a la mission de :
- Réhabiliter l’effort et la responsabilité. Il doit rappeler sans relâche que l’engagement, le courage et le travail restent, jusqu’à preuve du contraire, les seuls chemins vers la réussite durable. Ce n’est pas un discours passéiste, c’est un rappel au réel.
- Réhabiliter la nuance et l’esprit critique. Revendiquer une incohérence ne doit pas être une excuse pour fuir la complexité. Le manager peut transformer cette posture en opportunité pédagogique : encourager le débat, confronter les contradictions, rappeler la valeur des nuances.
- Réhabiliter le sens collectif. L’individualisme exacerbé détruit la cohérence du groupe. Le rôle du manager est de redonner du sens au collectif : non pas un camp du bien contre un camp du mal, mais une équipe dont les membres avancent ensemble, valorisent leurs différences, dépassent leurs divergences, assument leurs échecs et célèbrent leurs succès...
Tribune complète de de Frédéric Fougerat
Comment manager à l'ère de l'incohérence revendiquée ? Par Frédéric Fougerat
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