N'AYEZ PAS LA PRETENTION DE CROIRE QUE L'HISTOIRE DE L'ENTREEPRISE COMMENCE AVEC VOUS - TRIBUNE MANAGEMENT DE FREDERIC FOUGERAT
En management, il ne faut ni manquer de mémoire, ni l’insulter
Dans l’entreprise, pour tout manager ou nouveau manager, la question de la mémoire s’aborde au moins sous deux angles. Au sens de l’actualité récente, des évènements et des faits qui ont impactés notamment les hommes et les femmes de l’entreprises, et qu’il ne faut pas oublier une fois l’actualité passée, et au sens de l’histoire même de l’entreprise, qui ne commence pas le jour où une ou un nouveau dirigeant arrive. Dans les deux cas, l’oubli devient un ennemi voire une faute de management.
Vous venez de prendre vos fonctions à la tête d’une nouvelle équipe ou d’une nouvelle entreprise. N’ayez pas la prétention de croire que l’histoire commence avec vous. Au-delà de risquer de vous ridiculiser, dès votre arrivée dans l’organisation, ce qui n’est pas la position recherchée ou la plus souhaitable, c’est aussi le meilleur moyen de vous décrédibiliser auprès de toutes et celles et ceux qui ont fait et font l’entreprise. Afficher une telle marque de mépris et d’arrogance, marquera aussi la naissance de freins, résistances internes, qui, au-delà de toutes celles et ceux qui peuvent avoir peur du changement, lié à une évolution de gouvernance, surtout si on ne leur explique pas, ou pas bien, vous donneront à priori tord sur tout ce que vous entreprendrez, sans même savoir si vous pouvez avoir raison, s’engageront consciemment ou inconsciemment contre vous, contre votre stratégie, contre vos décisions… et participeront à casser la dynamique que vous êtes supposé insuffler et incarner. Votre arrivée ne représente qu’une nouvelle page qui s’ouvre, et votre ambition est bien de motiver et non de démotiver les équipes.
Cette faiblesse de management peut se traduire de différente façons : être faussement à l’écoute et préférer s’écouter, ce qui se perçoit immédiatement ; chercher à paraître bienveillant, mais afficher une personnalité qui trahit un manque total de générosité, être déjà plein de certitudes, ce qui se confirme souvent par des erreurs d’analyses et de jugements, preuves d’une forme incompréhension ou de méconnaissance de l’entreprise, de ses métiers, de ses clients, de ses équipes…
Qui n’a jamais vu un nouvel arrivant, vouloir imposer une vision et des méthodes qui ont, certes, fait son succès dans d’autres entreprises ou d’autres secteurs d’activités, mais qui mériteraient d’être confrontés à un peu plus d’écoute, d’observation et de réflexion dans une nouvelle organisation. Pour être passé du public au privé, puis des ressources humaines, à l’énergie, la pharmacie, la R&D, la restauration et l’immobilier, j’ai une certaine expérience des erreurs à ne pas commettre, pour en avoir commis certaines moi-même.
Une autre faiblesse de management, serait de liquider l’historique opérationnel du vécu de ses équipes, notamment en cas de circonstances exceptionnelles, pour ensuite reprendre l’activité durablement, comme si de rien n’était.
La période récente, désormais passée de la pandémie mondiale, en est une parfaite illustration. La vie professionnelle a été perturbée pour la majorité des personnes actives, avec des impacts plus ou moins forts et négatifs.
Pour celles et ceux qui ont dû gérer une charge de travail supplémentaire très importante, et souvent dans des conditions exceptionnelles, l’impact sur leur vie professionnelle, personnelle, mais aussi sur leur santé mentale aura été grand.
Que faut-il ne pas oublier de cette période ? Que les premières semaines voire les premiers mois ont été d’un grand stress, lié à toutes l’incertitude que représentait cette crise, de la réalité de la dangereusité du virus, de l’éventualité d’y trouver un remède, de la qualité des vaccins découverts et commercialisés dans des temps record, mais aussi du fait des confinements, impliquant enfermement, isolement, et de la durée de la crise, de la multiplicité des vagues…
La charge de travail qui pour certains a pu exploser, les conditions de travail qui pour beaucoup ont été bouleversées, le climat anxiogène alimenter par les médias avec notamment l’annonce quotidienne du nombre de morts, et la parole donnée à des personnes utiles au bruit médiatique, mais inutile à la science et à la connaissance des citoyens, ont pu créer un traumatisme profond qui ne disparait le jour de l’annonce de la fin de l’obligation de porter le masque.
Ce syndrome post traumatique, il est là, invisible, masqué par notre soif de revivre normalement, mais il est ancré au plus profond de certains d’entre nous.
Qui a sacrifié des soirées, des week-ends, des vacances pour assurer ses fonctions, et répondre aux besoins. Bien sûr on pense d’abord aux personnels de santé, à qui, un temps, un hommage était rendu tous les soir à 20h. mais c’est également le cas de nombre de salariés du public et du privé, qui par engagement, nécessité, obligation, ont été présents, et ont fait leur job. Ces personnes, aujourd’hui, pour la plupart, ont réintégrées le fonctionnement normal de leur organisation, et pourtant, elles portent le poids d’une charge exceptionnelle qu’il ne faut pas oublier, qu’il faut considérer et accompagner, au risque qu’elle se réveille tôt ou tard, avec des blessures profondes qu’il sera difficile de panser.
L’exemple lié à la pandémie de COVID 19 est très illustratif, et parle au plus grand nombre, mais les situations exceptionnelles sont fréquentes dans nombre de profession, notamment toutes celles qui sont liées à l’urgence, les vraies, qu’il s’agisse de l’hôpital, des pompiers, de la police ou de l’armée, et de n’importe quelle organisation publique ou privée qui ne pourra exercer normalement ses activités, du fait de moyens dégradés, de manque de ressources, d’incidents, de pannes, de sinistres, d’accroissement imprévus d’activités… tout ce qui désorganise, et pour lequel l’engagement humain peut servir de variable d’ajustement. Ce qui n’est possible ou tenable qu’un temps, et qui doit être reconnu, valorisé, récompensé.
L’humain a une capacité de résilience étonnante, incroyable, surprenante. Mais l’humain reste un être sensible, parfois fragile, et l’attention qu’on peut lui porter, notamment au travail, est une qualité de management toujours positive pour le salarié, et payante pour l’entreprise. Aussi faut-il veiller à garder dans notre mémoire les temps forts de l’histoire de l’entreprise, pour ne pas les chasser trop vite de nos esprits, au risque qu’ils viennent aliment des troubles psychosociaux, dont l’entreprise est par ailleurs responsable.
Frédéric Fougerat